L'ombre de Venise

Nouvelle d'Albert(o)

suite 1

 Le lendemain, les yeux encore bouffis de sommeil, j'attendais sur les Zattere que mon ombre daigne se manifester.
Un vent frais soulevait des vaguelettes à la surface du canale della Guidecca et collait ses embruns aux façades des bâtiments, me détrempant allègrement au passage.  Hélas, nulle ombre ne se manifesta.  
J'allais y renoncer lorsqu'une petite vieille, de noir vêtue, déboucha du coin de l'église des Gesuati et se mit à cheminer dans la direction prise hier par l'ombre.

D'instinct, je la suivis.

Cette femme trottinait dans l'exact parcours qu'avait emprunté le vagabond, à croire qu'elle suivait une piste visible d'elle seule et c'est ainsi que peu de temps après, je retrouvais mon clochard.
L'instinct, on ne s'y fie jamais assez, et pourtant...

sac en plastique aux côtés de l'homme encore endormi, la petite vieille repris sa route, sans le réveiller, sans se retourner, sans même se soucier du bruit de mes pas qui se répercutait sur les murs de la ruelle étroite.  Je ne suis même pas certain qu'elle se soit aperçue d'une présence quelconque derrière elle.

Sans même lever la tête, le clochard, par contre, s'était rendu compte d'une modification assez nette de son environnement car, sitôt la petite vieille hors de portée de voix, il redressa la tête et sans pour cela marquer le moindre étonnement quant à ma présence, il grogna :

 - Que me veux-tu ?
Dans un français plus que convenable, ce qui me déstabilisa méchamment.  J'arrivais cependant à noter le tutoiement incongru mais ne pus me résoudre à le suivre sur ce chemin.
-  Je ne sais pas... rien... si ce n'est comprendre. Comprendre ce qui vous pousse à rester dans cette ville, dans ce piège à touristes où tout est plus cher, plus difficile qu'ailleurs.
-  Que ne peux-tu comprendre que tu n'aies déjà sous les yeux ?  Tu es bien un touriste, toi !  Un oeil électronique sur pattes. Une mémoire transistorisée qui se déchargera via un câble et qui s'effacera à l'occasion d'une mauvaise manipulation.

Ce clochard avait apparemment un bagage technique qui dénotait de son état présent, mais ce n'était pas le but de ma quête.  Qu'est-ce qui le poussait à rester ici ?  Je lui répétai ma question.
- C'est bien ce que je disais !  Tu n'as jamais rien vu... faudra donc que je te montre !  Reviens ce soir... ou plutôt rejoins-moi ce soir, sept heures, devant le Danieli.  Maintenant, laisse-moi !  J'ai à faire.

 

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