" Le deviseur du monde "

Nouvelle  de Chantal Robillard
mise en page Jean-Antoine Scarpa

Il racontait, quand on prenait le soleil, assis sur les marches de la maison familiale dans la Limagne, qu’il avait lu presque tous les livres, pendant ses voyages au long cours. Pour le prouver, il nous embarquait le lendemain soir vers le "bibliorail" ou la petite bibliothèque municipale. On l’interrogeait sur les titres et noms d’auteurs qu’on déchiffrait, nuque tordue, langue pendante, sur les rayonnages. Eh oui, miracle, il nous en racontait aussitôt le contenu. Avec de criantes divergences, quand on redemandait un même titre pour le piéger. On le croyait pris en défaut ? Allez, un gros clin d’œil, un rire ponctuaient alors son tic favori : faire remuer sa casquette bleue, toute délavée, sans bouger les sourcils, juste en plissant le front, qu’il avait ridé et tanné sous son crâne chauve.

On le surnommait aussi Pépé le Moko. Pour le film, bien sûr, auquel cependant on ne comprenait rien, pour sa «gueule d’amour» à la Gabin, dont il avait la gouaille mais heureusement pas l’accent parigot. Lui, il préférait Fernandel, ce Crésus avec lequel il allait tous les printemps faire une pétanque au Cercle de Sausset-les-Pins, et qui était un copain du Gabin. Moi, je lui chantonnais : «tu m’attraperas pas, vieux pépère à la noix de coco !». Il aimait bien, le pépé, ça faisait rime avec Moko, Berto et Grognon-Ronchonneau, un autre de ses noms de guerre.

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