Pierre-Paul Rubens à Venise

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Vierge à l’Enfant avec le petit saint Jean-Baptiste, Venise, Santa Maria del Giglio (huile sur panneau transposé sur toile, 154,5x112,5 cm)
Présente dans l’église vénitienne depuis la donation en 1709 du prêtre Andrea Vescovi, cette œuvre de Rubens est la seule actuellement conservée à Venise.

Pendant longtemps méconnue, cette Madone a retrouvé un certain intérêt auprès de la critique dès 1959, année de sa restauration et de sa présentation à l’exposition « La pittura del Seicento a Venezia ». Elle a d’ailleurs été restauré une seconde fois en 1990 : il se trouve que le tableau nous parvenu en mauvais état de conservation, suite probablement à un incendie, lequel a dû entrainer la transposition du support de bois sur toile.
Cette opération intervenue à un moment incertain explique la facture assez particulière du tableau actuellement : les figures bibliques sont dues à Rubens et se trouvaient sur le panneau originel, tandis que le fond sombre et peu déterminé serait plutôt l’œuvre d’un peintre vénitien de la seconde moitié du Seicento. L’attribution de l’œuvre a connu en effet certaines variations depuis le XVIIème siècle : si les rares sources anciennes la donnent sans réserve à Rubens, Moschini en 1815 y voit une belle copie et Zanotto en 1856 une bonne imitation du maître ; mais au XXème siècle, elle est finalement considérée comme une œuvre de Rubens, bien que ruinée et restaurée, par des critiques tel que Muraro ou Jaffé et exposée comme telle lors de l’exposition italienne « Pietro Paolo Rubens » en 1990.
La convergence des critiques vers une œuvre autographe s’explique par la qualité réelle de l’œuvre, réévaluée grâce aux restaurations récentes : la monumentalité plastique des figures, notamment des enfants au corps sculptural, se rapporte à la virtuosité de Rubens, de même que le brio coloriste qui joue habilement des laques et des glacis dans le manteau de la Vierge ou la vivacité des chairs et l’intensité des regards.
 

Néanmoins, si la paternité rubénienne semble vraiment sûre, la datation de l’œuvre n’est guère aisée, de même que le contexte de sa commande : la parenté stylistique avec des tableaux des années 1610, tels le Samson et Dalila de la National Gallery de Londres ou l’Autoportrait avec des amis du Wallraff Richartz Museum de Cologne, indiquent une place chronologique dans cette décennie, encore fortement marquée par les contacts avec le caravagisme, Michel-Ange ou Titien du long séjour italien des années 1600-1608. Un autre témoignage en faveur d’une datation de la jeunesse de l’artiste est une version plus célèbre de la composition de notre tableau, peinte autour de 1620 et actuellement conservée à la Fondation Thyssen-Bornemisza en Espagne : la Vierge est toujours en compagnie de l’Enfant et du petit saint Jean-Baptiste avec l’agneau symbole du sacrifice du Christ, mais cette fois intervient saint Anne, mère de la Vierge, devant une colonnade. Les schémas iconographiques de cette œuvre, fort appréciée et copiée par l’atelier de Rubens, s’inspire d’œuvres significatives de la haute Renaissance, comme au Louvre La Grande Sainte Anne de Léonard ou La Grande Sainte Famille, dite de François 1er de Raphaël.
Le style de notre tableau a beau être encore fortement tributaire des maîtres italiens, il n’en reste pas moins certainement exécuté après le séjour en Italie de Rubens. On rappelle que ce dernier, surtout attesté auprès de la cour des Gonzague à Mantoue, a voyagé dans la péninsule à Rome, Gênes ou Florence, et très probablement à Venise, visite guère documentée mais très probable : si l’assimilation du style de Titien a pu passer par la connaissance des collections royales anglaises et espagnoles, la familiarité de Rubens avec l’œuvre de Tintoret, notamment ses grands tableaux religieux, témoignent en faveur d’un séjour vénitien du maître anversois. Ainsi, la Madone de Santa Maria del Giglio serait redevable à ce séjour mais exécutée postérieurement : reste désormais à déterminer quand et pour qui fut peint ce tableau religieux, connu dès le début du XVIIIème siècle dans la cité des Doges, par le plus grand interprète flamand de la manière vénitienne.

"Vecellio"   Benjamin Couilleaux  Visitez son blog : Art et Italie