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Filippo Calendario (avant 1315 - 1355)

Sculpteur et architecte - Gothique

Piazzetta San Marco, jeudi 16 avril 1355.

Une immense foule soudée par la colère (de six à dix mille personnes, nobles et gens du peuple) tempête à cor et à cri pour que justice soit faite promptement.
Les mains liées haut dans le dos, une corde charnue autour du cou, Filippo Calendario est déposé sur la balustrade de la Loggia du nouveau palais ducal, sous le chapiteau des « Quatre vents » qu'il a lui-même façonné.
Brusquement poussé dans le vide, il se craque la nuque un demi mètre plus bas. A ses côtés, son beau-fils Bertuccio Isarello. Neuf autres condamnés attendent leur tour sous les arcades gothiques festonnées du Môle. Justice est rendue des traîtres!
Calendario a-t-il eu le temps de repenser à sa Justice première allégorie de la République sérénissime, un médaillon enchâssé dans le treizième trèfle de marbre de la Loggia, côté Piazzetta ?
A-t-il revu les yeux de verre illuminer le visage ferme et autoritaire de sa Venetia ?
Qu'a-t-il pu espérer de cette sombre conjuration, lui le tailleur de pierres le plus remarquable de son époque !?!
L'effet de la serrata votée en 1297 a vu les membres du Grand Conseil tripler en quelques décennies. La salle du Maggior Consiglio du rez-de-chaussée qui encadrent les réunions des patriciens est devenue trop exigüe. Il est décidé de la porter à l'étage, question de sécurité, de l'agrandir et d'en faire un lieu au décorum digne de la noble assemblée.
En 1340, la charge en revient au proto en place à l'époque, Filippo Calendario, sculpteur et propriétaire de navires pour le transport de matériaux de construction. Bien qu'aucun document ne lui attribue la paternité des travaux avec certitude, c'est son nom qui est le plus souvent cité.
L' extension se fera principalement le long du Môle (18 colonnes dessinant 17 arcades, elles-mêmes doublées au premier étage) et le long de la Piazzetta ( 7 colonnes formant 6 arcades, doublées au premier, l'allégorie de la Justice faisant angle). Toute cette légère arcature élève délicatement la salle du Maggior Consiglio, grand rectangle aux dimensions étourdissantes: 52,7 x 24,65 x 11,5 m.
S'il savait concevoir un tel ouvrage, Calendario avait également l'art de travailler les plus infimes détails. Il brise les angles du nouveau palais par deux sculptures presque grandeur nature : côté Piazzetta: Adam et Eve , côté ponte de la Paglia : l'ivresse de Noé. Etait-il libre d'interpréter les thèmes vraisemblablement imposés par les autorités ?

Œuvres sur le site

 

Palazzo Ducale

L'ivresse de Noé

Adam et Eve : angle sud – Piazzetta

Où trouver ses œuvres  à Venise

Palazzo Ducale :

- Extension de l'aile sud (avec la salle actuelle du Maggior Consiglio)

- L'ivresse de Noé: angle sud - rio di Palazzo

- Adam et Eve: angle sud – Piazzetta

- Les chapiteaux inférieurs et supérieurs: aile sud

- Les 6 premiers chapiteaux inférieurs
 et les supérieurs équivalents: aile nord

- Venetia, médaillon de la Loggia: aile nord

 

La conscience de la faiblesse humaine, la crainte de Dieu encadrent ainsi la façade sud du palais ducal et s'offrent aux passants en une lecture perpétuelle. Les feuilles de la vigne qui bruissent sous Noé titubant et sous la nuée de moineaux picorant, ainsi que la frondaison du figuier qui condamne Adam et Eve à la chute éternelle forment une admirable et délicate dentelle minérale. Précieux travail de Calendario également pour les chapiteaux du rez-de-chaussée (les dix-huit du côté Môle et les six premiers côté Piazzetta, clôturés par l'histoire d'amour à l'issue tragique) ainsi que pour les couronnements équivalents de la Loggia (tous les autres sont du XVème, travaillés lors de l'extension du Palazzo vers la Porta della Carta).
Le plus abouti selon Ruskin étant celui sous Adam et Eve. Plusieurs chapiteaux (dont quelques uns fortement endommagés par l'usure du temps) ont été remplacés par des copies lors les travaux de restauration de 1878 et se trouvent actuellement dans le Museo del'Opera du Palazzo Ducale. D'après la légende, on retrouve le portrait ou autoportrait de Calendario sur l'antépénultième colonne avant l'angle de la Piazzetta, figure face au Bacino. Enfin, Venetia, la Justice, considérée comme la première allégorie de Venise, médaillon qui fermait l'angle du Palazzo perché à hauteur du treizième pilastre de la Piazzetta. Le visage sévère où était incrusté à l'origine des yeux en pâte de verre, le corps raide, elle présente le glaive de la justice dans la main droite et, de la gauche, déroule un papyrus: Fortis iuste trono furias mare sub pede pono. Flanquée d'un lion de chaque côté, elle foule du pied une onde poissonneuse et deux personnages représentant les vices dont les hautes autorités vénitiennes étaient sensées se détourner: la Colère qui s'arrache la chemise et l'Orgueil qui porte armure et casque d'où dépassent des oreilles d'âne.
La mort violente de l'artiste décoratif au langage gestuel prodigieusement évocateur correspond au lent crépuscule du gothique.
Figure de proue de son époque, sa disparition laisse un grand vide et pousse Venise à se tourner vers l'extérieur.
Il faudra attendre près d'un demi-siècle pour voir apparaître un artiste d'envergure : les frères Dalle Masegne.